Meeting in the woods | Plum'

Blanc, à perte de vue. Blanc, comme une longue feuille dépourvue de nervures et de couleur.
J'éternuai.
Insensible, la poudreuse emprisonna un peu plus mes pattes. Je grognai en me dégageant, et me rendis compte que j'avais perdu de la vigueur ; apprentie, j'aurais couvert la distance qui me séparait du conifère proche d'un bond. Je m'ébrouai, lançant un regard peu amène aux arbres qui se déchargeaient de leur fardeau sur moi. Où était passée la souris que mes sens avaient détecté ? En jetant un coup d’œil circulaire autour de mon environnement, je ne voyais que cette neige épaisse et glaciale. Elle était d'un blanc d'ivoire brillant, se craquant doucement sous mes pas puis, profitant de mon immobilité, s'enroulait autour de moi comme des sables mouvants.

D'un coup de griffe, je déblayai les liens qui m'emprisonnaient encore au sol puis remuai les oreilles ; j'avais perçu un son, infime, d'une chose qui se déplaçait. Je trouvai un endroit moins encombré par la neige lustrée, puis plissai les yeux en tentant de trouver celui qui m'épiait sans doute.

C’est le silence qui me répondit. J’en vins à penser que mes oreilles me fissent défaut ; peut-être n’avais-je perçu que le grattement subtil d’une souris rachitique. Sous le couvert des arbres, je me sentais constamment épiée, par de nombreux yeux et de nombreuses présences ; cette prison sylvestre murmurait, grinçait, ondulait et frémissait de part et d’autres de moi. Un frisson glacé parcourut mon échine, et ma queue remua sur le sol immaculé, traçant un sillon de neige sombre.

Là ! Je l’avais bien vue, non ?

A moins que je ne devins folle. Je m’assis, me rappelant les paroles rassurantes de ma mère et ses théories sur notre esprit excentrique qui s’amusait à nous jouer des tours. Le vent capricieux se prit dans mes moustaches, dans ma pelisse cendrée, mais je demeurai aussi immobile que si j’eusse repéré une proie. Une de mes oreilles se tourna vers l’extérieur en percevant un frottement. Calmement, je me tournai et fis face à une femelle noire ; l’odeur tenace de la roche imprégnait son poil, la fragrance des terres arides émanait d’elle comme une aura particulière et étrangère.

« Salutations, guerrière du Clan du Ciel. A qui ai-je l’honneur ? » embrayai-je, dans l’expectative de sa réponse afin de juger son caractère – et pourquoi pas ses intentions.

- Bonjour, je m'appelle Cœur Angélique et toi, qui es tu? Tu dois être du clan du vent, je me trompe?

Sa réponse ingénue me fit sourire. Elle ne cherchait pas à me chasser ; au contraire, elle semblait ravie d'établir un contact. Ses muscles détendus témoignaient de la confiance qu'elle m'accordait et je l'acceptai avec humilité en inclinant la tête.

« Je suis Étoile de la Nébuleuse, meneuse du Clan du Vent. Tes sens ne te trompent pas, guerrière. »

La pluie fine, qui avait commencé à tomber dans un mince rideau, drapait la forêt d'un manteau humide et frais. Des nappes de brume s'étendaient avec langueur sur le sol, sinuant autour des troncs noueux comme si elles cherchaient à en pénétrer l'écorce. Je pris une grande inspiration pour inhaler ces fragrances printanières.

« Es-tu en quête de calme ? La mauvaise saison n'a épargné aucun Clan, une fois encore. »

Ma voix semblait résonner dans la toison sylvestre. Les entrelacs de racines, qui ressurgissaient parfois du sol en réseaux désordonnés, ressemblaient à des rochers qui affleuraient de la rivière. Cet endroit m'apaisait et me recentrait sur ma présence au monde.

Si ma fourrure n’était pas déjà imbibée de pluie, elle ne pouvait que l’être à présent. Les gouttes s’accrochaient sur mes poils en tombant des branches basses et des feuilles bourgeonnantes. Je m’ébrouai légèrement pour éviter d’être alourdie par le poids de l’eau et attraper froid. La météo était encore incertaine, vacillant entre les averses et les grandes éclaircies. Quand le rideau s’écarta enfin, laissant entrapercevoir une nature endiamantée par les perles d’eau, Cœur Angélique répondit :

« Oui je cherche le calme, j'aime bien cet endroit, il permet de s'écarter de son Clan, on peut voir les personnes de son Clan mais même les personnes d'autre Clan. C'est vrai la saison est difficile. »

Je hochai la tête à ces propos. Elle n’était pas la seule à venir se ressourcer ici, mais ces moments demeuraient rares, hélas. Un Clan requiert beaucoup d’attention quotidienne, une organisation méticuleuse et claire ; en être à sa tête exigeait d’avoir du sang-froid, d’être respecté et aimé tout à la fois, en incarnant les valeurs de la communauté. J’ignorais si j’assumais toutes ces choses, mais diriger me plaisait – c’était instinctif, inné.

« Et le Clan du Ciel se porte bien ? » m’enquis-je avec politesse, préférant poursuivre quelques formalités pour me rassurer sur ses intentions.