Histoire
On ne connaît pas bien l’histoire d'Étoile de la Nébuleuse, et ce n’est pas certain qu’on veuille la connaître. Mais d’où vient, alors, ce caractère si unique ?
I – AU COMMENCEMENT
Où et comment est-elle née ? Au camp, du ventre de sa mère. Point à la ligne.
Eh bien, non. C’est tromperie que de croire cela.
Elle a décidé d’ennuyer sa mère à un fort mauvais moment. C’était en plein hiver, et la jeune reine, lassée d’attendre la mise bas dans la pouponnière, s’était risquée à sortir au museau et à la barbe de ses protecteurs. Heureusement pour elle qu’on l’avait vue sortir, car sinon, elle aurait succombé, et sa petite ne l’aurait jamais connue. Petite Nébuleuse naquit dans le froid et la neige, congelée, recroquevillée, si bien qu’on crût qu’elle était aphone. Aucun son n’était sorti de sa bouche, pas même un ridicule gémissement. Sa mère, qui alors se prénommait Perle de Nacre, attendit quelques jours dans une anxiété palpable. Quand, enfin, sa fille émit son premier son, c’est quand elle émergeait d’un sommeil qu’on soupçonnait fatal. Plus tard, on lui apprit qu’elle avait eu un frère mort en couche. Ou bien fût-ce sa mère qui l’avait étouffé pour n’éveiller aucun soupçon sur l’identité du père ? Du véritable, car si la femelle était bien comme sa fille, son fils, lui, avait la fourrure noire. D’où la tenait-il ? Son compagnon avait lui aussi un pelage clair, et personne de la famille n’était sombre comme le jais.
Dans son enfance, Petite Nébuleuse se montra gaie, épanouie, et plus personne n’osa remettre en cause la fidélité de Perle de Nacre envers son compagnon. Elle-même évitait le sujet, par d’habiles phrases : « Voyons, la tromperie est l’acte des faibles. Suis-je faible selon toi ? ». Sa fille répondant toujours par la négative, elle terminait : « Alors la question ne se pose même pas. ».
Perle de Nacre constituait un exemple infaillible pour Petite Nébuleuse ; elle était drôle, intelligente, sage, réfléchie. Mais les origines de son frère décédé la hantaient, et cela s’empira lorsqu’elle fut nommée apprentie.
II – REVELATIONS DOULOUREUSES
Nuage de la Nébuleuse, au début de son apprentissage, était une véritable peste, et c’est souvent cette partie de son histoire qu’on aime réciter ; elle couvrait d’épines la couche de son mentor, qui se fit avoir des dizaines de fois. Il était patient et attentionné, mais le comportement de la novice virait au dramatique, aussi parce qu’elle conversait avec des personnes spontanées et laxistes. Ce faisant Perle de Nacre vieillissait. La femelle se flétrissait à vue d’œil, elle venait souvent chez le guérisseur, ils parlaient pendant des heures. Nuage de la Nébuleuse voyait son père tenter d’aborder Perle de Nacre, mais elle s’enfuyait, elle glissait entre ses doigts, comme l’eau de la rivière. Un mal inconnu la rongeait de l’intérieur, et lorsque l’apprentie s’en rendit compte, sa vie prit un tournant tout à fait différent. Elle plongea dans un état de tristesse alarmant, sautait des entraînements, cependant que sa mère l’ignorait. Un jour elle la prit à part :
« Maman, quelque chose te fait du mal, je le vois. Dis-moi ce que c’est.
– Écoute, Nuage de la Nébuleuse, cela me concerne. Laisse-moi faire ma vie, tu veux ? »
Perle de Nacre l’appelait comme son mentor. Ce n’était plus sa fille, mais une apprentie qui l’agaçait, pour qui elle avait entretenu de l’affection. D’ailleurs, elle peinait à se rappeler pourquoi. Son air hagard trahissait son désarroi et sa confusion intérieure.
« Maman, répéta sa fille, tenace, je peux t’aider.
– Non, tu ne peux pas, tu ne peux pas. Personne ne peut. Personne ne comprend. Ils préfèrent faire circuler les histoires, ils préfèrent se moquer de ceux qui ont fait des erreurs, c’est se marcher sur la tête mais c’est ainsi que nous fonctionnons, oh c’est bien injuste, moi qui les ai toujours respectés ! La vie est tellement injuste, ma petite, tu te rends compte, personne ne te montre d’un doigt moqueur pour l’instant, mais si tu as le malheur de t’écarter de leur droit chemin à eux, tu en pâtiras ! »
Nuage de la Nébuleuse était bouleversée. Sa mère continuait son flot de paroles, et lorsqu’elle se mit à pleurer, elle s’écroula soudainement, comme vidée de toute son énergie.
« Ton frère… gémissait-elle. Ton frère, il…
– Oui. Il chasse avec nos ancêtres.
– Non ! Il sera repoussé. Il n’est pas de sang pur ! »
La vérité avait éclaté comme une bulle qu’on transperce.
« Qu’est-ce que tu racontes ?
– Ne m’en veux pas… c’était un accident… je ne l’aimais pas, il m’a forcée… mais je ne voulais pas te perdre… »
Son cerveau d’apprentie tournait à plein régime. Quelqu’un d’un autre Clan avait abusé de sa mère ?
« Tu aurais dû en parler ! Quel est l’être immonde qui t’a fait ça, maman ? Dis-moi !
– Je… je l’ai tué. C’était un solitaire. Si je ne l’avais pas fait… »
Un monde basculait subitement. Sa mère, si consciencieuse, méthodique, raisonnée, avait commis un meurtre et avait porté un enfant interdit.
« Est-ce que tu as tué aussi… mon demi-frère ?
– Je n’aurais pas supporté le voir grandir. Alors, j’ai mis bas dans la forêt, pour qu’il meure de froid, et je t’ai couverte pour que toi, tu survives, parce que tu le méritais bien plus. »
La nausée menaça d’emporter Nuage de la Nébuleuse. Comment pouvait-on décider si cruellement du sort de son enfant ? Lui n’avait rien demandé d’autre que la vie. Mais elle comprit pourquoi sa mère avait fait ce choix. Un fils à la fourrure noire aurait éveillé les soupçons, suffisamment pour détruire sa réputation, et de surcroît, ce fils aurait-il hérité de la noire conscience de son père ? Le risque était bien trop grand.
L’apprentie sentit le sol s’ouvrir sous ses pattes. Avait-elle, indirectement, hérité des gênes de ce pervers ? S’il avait fécondé sa mère pendant sa grossesse ? Ou bien le fils était-il au départ de sang pur et s’était fait souiller ? Mesurant la chance qu’on lui avait donnée, elle se sentit soudain très petite au milieu des éléments.
III – REAPPRENDRE A VIVRE
Guerrière, Nébuleuse Symphonie épaula sa mère chaque jour, pour l’aider à se reconstruire. Ce fut long, fastidieux et douloureux, mais elle refusait d’abandonner. Elle expliqua l’histoire à son père, qui l’aida dans sa tâche, compréhensif. Perle de Nacre avait bien choisi son compagnon.
La guerrière sentait le respect autour d’elle s’accroître, car sa mission était saine et courageuse, même si on n’en comprenait pas les raisons. Elle s’acquittait de tous ses devoirs, mais veillait sur la santé de sa mère. Si bien qu’un beau jour, son meneur la nomma lieutenante. Encore très jeune, Nébuleuse Symphonie sentait peser sur elle la jalousie, le mépris des anciens, le soutien de ses parents.
Perle de Nacre succomba, une nuit calme d’hiver, de froid, de vieillesse ou de fatigue, on ne sut le définir. Elle avait réappris à vivre grâce à sa fille, et s’en était allée sereine avec elle-même, en harmonie. Nébuleuse Symphonie n’aurait pu rêver meilleure récompense. C’est le cœur lourd et serré qu’elle se promit, à l’aube, quand on eût découvert la tragique nouvelle, qu’elle ne faillerait jamais à sa mission : être fidèle à son Clan et à ses valeurs morales.
IV - ALEA JACTA EST
On dit souvent que les meilleurs s'éteignent trop vite. Le meneur du Clan du Vent avait rempli sa part du contrat, et avait laissé sa dernière vie s'envoler vers les étoiles, frappé par la maladie. Modèle vivant pour sa lieutenante, il la laissa prendre sa place sous son nom actuel, à l'âge de 40 lunes : Étoile de la Nébuleuse.